Wednesday, July 22, 2020

Degun, tarpin, cabèches… en Provence, sur la route des mots bien de chez nous - Le Parisien

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Un « truc de fada » (un truc de fou). Les origines du régionalisme le plus emblématique de Marseille et ses environs ces dernières années, « tarpin », adverbe signifiant « beaucoup » ou « très », sont un sacré mystère que même la Bonne Mère n'a pas réussi à résoudre. « On n'a pas trouvé », confesse Médéric Gasquet-Cyrus, linguiste à l'université d'Aix-Marseille qui a écrit « Dites-le en marseillais » (Les Editions du Fioupélan). « Il y a vingt ans, c'était un mot confidentiel employé par les jeunes. Depuis, il est devenu courant chez leurs parents et grands-parents », observe l'enquêteur.

Le site Internet de bons plans de la cité phocéenne a même été baptisé « le tarpin bien ». Et quand l'OM fait des étincelles, il y a toujours « tarpin de monde » (beaucoup de monde) au Vélodrome, comme le clament les minots et leurs papets. Le vocabulaire de « Massilia », et plus généralement celui de la Provence, n'est franchement pas « moribond » mais bien vivant, se renouvelant au fil du temps.

«Avé» l'accent, le cœur et les mains

Là-bas, on tchatche « avé » l'accent, le cœur, les mains et une bouillabaisse d'expressions aux origines multiples s'accordant parfaitement avec le chant des cigales. « C'est une marque d'appartenance, une fierté de parler ce français-là et pas celui des Parisiens », résume le sociolinguiste Philippe Blanchet, professeur à l'université Rennes-2 et auteur du livre « le Parler de Marseille et de Provence » (Editions Bonneton).

La première source d'inspiration est évidemment le provençal, cette langue romane qui fait partie de l'ensemble occitan, mise en valeur par l'écrivain Frédéric Mistral disparu en 1914. « Le parler marseillais s'est développé au XIXe siècle lorsque les habitants ont été contraints de parler en français alors que pour la majorité d'entre eux, le provençal était la langue maternelle. Il y a alors eu des phénomènes de contact », décrit le spécialiste Médéric Gasquet-Cyrus. « Environ 95 % des régionalismes sont issus du provençal », évalue son confrère Philippe Blanchet. C'est le cas de « péguer » (être poisseux), rouméguer (râler), « cacou » (frimeur), « pitchoun » (petit enfant), « cafalo » (benêt).

Ou encore « cagole ». « C'est un dérivé de cagade qui veut dire saleté, souillure. Pendant longtemps, ce mot a désigné la prostituée. Mais dans les années 80-90, son sens s'est atténué pour décrire une fille aguicheuse, vulgaire », décrypte l'expert. Mais « degun » (personne au sens de rien) lui fait désormais (presque) de l'ombre. Ce pronom entré dans le dico a donné lieu à la formule « on craint degun » placardée, au Stade-Vélodrome, dans le tunnel des joueurs.

« Cette langue a permis d'exprimer un état d'âme »

Moult trésors provençaux qui datent de « l'an pèbre » (des temps très anciens) ont disparu du langage courant au fil des générations. Mais certains ont bien résisté, en particulier les mots qui n'ont pas d'équivalent dans la langue de Molière. « Par exemple s'embroncher, se prendre les pieds dans quelque chose. Il existe bien trébucher, mais on peut trébucher sans obstacle », argumente Philippe Blanchet. Les « petites choses de la vie quotidienne » à l'instar d'« escoube » (balai), de « pile » (évier) ou d'« estrasse » (vieux chiffon) ont également survécu. Tout comme les expressions qui, en matière d'émotions véhiculées, n'ont pas d'alter ego.

« Peuchère! est beaucoup moins expressif que Oh le pauvre! », note-t-il. « Couillon » est aussi plus fleuri qu'imbécile, surtout lorsque c'est Marcel Pagnol qui l'honore dans une phrase devenue culte : « Quand on fera danser les couillons, tu ne seras pas à l'orchestre… » Dans le même esprit, « arrête de bouléguer » signifie « arrête de remuer », sous-entendu « tu m'énerves », et envoie ainsi deux messages forts à l'interlocuteur. « La langue locale, c'est la langue du cœur, de l'affect. Elle a permis d'exprimer un état d'âme, ses sentiments de la vie quotidienne qu'on ne trouvait pas dans le français intellectuel, scolaire, jugé froid », poursuit-il.

Les emprunts aux parlers italiens sont aussi historiquement courants, notamment grâce à la « très forte immigration » en provenance de la Botte de 1850 à 1950. Le « chiapacan », qui désigne un bon à rien, un voyou, est issu du piémontais quand le fameux « oaï » (bazar, bordel) a été offert par le napolitain. Les Corses et les pieds-noirs, en particulier d'Algérie, ont également apporté leur pierre à l'édifice lexical. Plus récemment, le groupe de rap IAM a, lui, popularisé le mot « mia » (frimeur) dont l'étymologie demeure énigmatique. L'émission de téléréalité « Les Marseillais », elle, a donné un coup de projecteur à « fraté », synonyme de « frère »… à rendre totalement « fadas » Marius et Fanny.

Lexique

  • Avoir des cacarinettes dans la tête : avoir un pète au casque
  • Avoir les yeux bordés d’anchois : avoir les yeux rouges de fatigue
  • Cabèches : toilettes
  • Cafi : plein
  • Coquin de sort ! : interjection exprimant la surprise, le désarroi
  • Ensuqué : mou, fatigué
  • Emboucaner : monter la tête, engrainer mais aussi puer
  • Escagasser : agacer, fatiguer
  • Espanter : surprendre fortement, sidérer
  • Etre dans un brave pastis : être dans de beaux draps
  • Etre esquiché : être serré comme des sardines
  • Faire le gobi : rester bouche-bée
  • Fatche de ! : oh purée !
  • Pacoulin : plouc
  • S’engatser : se prendre la tête
  • S’empéguer : se saouler
  • Se faire péter l’embouligue : s’en mettre plein la panse
  • Stoquefiche : personne très maigre
  • Tronche d’api : idiot



July 22, 2020 at 02:09PM
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