J’ai toujours su la passion de David Caviglioli pour l’ethnologie. Je me demande même si, outre le modèle paternel, elle n’a pas été l’argument principal de son entrée dans le journalisme et à « l’Obs », d’où il allait pouvoir observer de près les peuplades primitives de romanciers, d’artistes, de rappeurs, étudier le cru et le cuit culturels. Grand lecteur de Claude Lévi-Strauss et de Georges Balandier, voyageur infatigable, David est fasciné, depuis son plus jeune âge (il a aujourd’hui 35 ans), par une tribu ancestrale, qui habite la partie guyanaise de la forêt amazonienne et persiste à ignorer la civilisation moderne : les Otopis.
Il s’est beaucoup documenté sur eux, a compulsé, au Collège de France, de vieux récits ethno-sémiotiques. Et il a voulu comprendre comment ils vivaient, pourquoi ils mangeaient des chips (nature), s’arsouillaient au tord-boyaux, portaient des dents en or et étaient en edge. Il a alors décidé de les filmer in situ. Avec son collègue Hugo Benamozig, dont la thèse de doctorat portait sur l’alimentation des Potiguaras, les « mangeurs de crevettes » du Rio Grande, David Caviglioli est donc parti, via la Réunion (ça rallonge, mais ça met en appétit), pour la Guyane, afin d’y coréaliser un premier film : « Terrible Jungle » (en salles le 29 juillet).
« Terrible Jungle », récit d’un tournage apocalyptiqueRoman proustien au parfum boisé de havane
Sous les traits de Vincent Dedienne, alias Eliott, un jeune anthropologue lancé sur la trace effacée des Otopis, on reconnaît très bien David. Même livre de chevet (« Tristes Tropiques »), même ferveur exploratrice, même tenue négligée et même barbe noire de trois jours. Même besoin, aussi, de rompre avec l’hérédité : la mère possessive et castratrice d’Eliott, Chantal de Bellabre (Catherine Deneuve, restée depuis quarante-cinq ans sur l’île vénézuélienne du « Sauvage »), est également ethnologue. Fuir Œdipe permet d’approcher les Otopis. On vous laisse découvrir à quoi ils ressemblent, l’usage qu’ils font du mercure et quel forban les rançonne.
Le film structuraliste de Bena & Cavi montre aussi comment fonctionne, dans la forêt amazonienne, notre admirable Gendarmerie nationale, commandée par le colonel Raspaillès (Jonathan Cohen), qui écrit, entre deux missions héroïques, un roman proustien au parfum boisé de havane. N’écoutez donc pas ceux qui réduisent « Terrible Jungle » à une épopée loufoque, une hilarante équipée tintinophile, portée par un casting à se tordre. C’est d’abord un précieux document sur les indigènes 2.0., accros à la junk food dans des huttes de beach resorts. Allez le voir masqués.
Marius Jauffret : souvenirs de l’asile psychiatrique« Terrible Jungle », par Hugo Benamozig et David Caviglioli, 1h31, le 29 juillet.Paru dans « L’OBS » du 23 juillet 2020.
July 27, 2020 at 09:46PM
https://ift.tt/2P3Cjqk
« Terrible Jungle » : une hilarante équipée tintinophile (et bien plus) - L'Obs
https://ift.tt/2CyaBz3
bien
0 Comments:
Post a Comment