Monday, August 17, 2020

Covid-19 : mener à bien une grossesse chez une patiente présentant un syndrome de détresse respiratoire aiguë - Le Monde

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© NHS. Public Health England

C’est l’histoire d’une femme de 33 ans enceinte, hospitalisée en mars dernier en réanimation dans un hôpital d’Ile-de-France pour un syndrome de détresse respiratoire aiguë associé à la Covid-19.

Cette patiente présente de la fièvre, une toux, des douleurs musculaires et des difficultés à respirer depuis quatre jours. Elle n’en est qu’à la 24ème semaine de grossesse. Une semaine auparavant, un cerclage du col de l’utérus a été réalisé. Cette technique chirurgicale, qui consiste à placer une suture autour du col de l’utérus pour le resserrer, a été motivé par le fait que le col utérin était raccourci et dilaté trop tôt chez cette patiente qui avait eu par ailleurs un antécédent d’accouchement prématuré. Cette patiente courait donc un grand risque d’accoucher avant terme.

« Cette jeune femme a été dans le service notre première patiente enceinte atteinte de Covid-19 », me confie le Dr Laura Federici qui exerce dans le service de médecine intensive/réanimation de l’hôpital Louis-Mourier (Colombes, Hauts de Seine).

À l’admission, la jeune femme a une fièvre à 39,2 °C. Son pouls est rapide : 106 battements par minute. Sa fréquence respiratoire est augmentée : 46 cycles par minute. Malgré l’administration d’oxygène à haut débit au masque nasal, sa saturation en oxygène dans le sang chute à 94 %, la valeur normale se situant entre 95 % et 100 %. Elle s’épuise à lutter pour respirer. Elle est admise le 17 mars en unité de soins intensifs pour être placée sous ventilation mécanique. Malgré la sédation administrée à la patiente pour  lutter contre la douleur et l’inconfort de la ventilation mécanique, la patiente développe une hypertension artérielle sévère (180/83 mmHg) qui nécessite un traitement anti hypertenseur par voie intraveineuse.

Le diagnostic de Covid-19 est établi au vu des résultats du test virologique PCR effectué sur les sécrétions aspirées au niveau de la trachée. La radiographie pulmonaire montre une atteinte pulmonaire bilatérale. L’échographie fœtale est en revanche normale.

Les analyses biologiques montrent notamment la présence anormale de protéines dans les urines (protéinurie) de même qu’un faible taux de plaquettes sanguines, une hémolyse (destruction des globules rouges), une élévation du taux sanguin des enzymes hépatiques.

Ce tableau clinique et biologique fait suspecter une possible pré-éclampsie chez cette patiente présentant une hypertension artérielle associée à une protéinurie après 20 semaines de gestation. La pré-éclampsie est une cause majeure de retard de croissance intra-utérin.

Cette femme est susceptible de développer une forme clinique particulière de pré-éclampsie appelée « syndrome HELLP » (acronyme de hemolysis, elevated liver enzymes, low platelets count). Celui-ci est en effet caractérisé par une hémolyse, une élévation des enzymes hépatiques et une numération plaquettaire basse. Le syndrome HELLP peut compliquer une pré-éclampsie. L’extraction fœtale (césarienne) est le traitement d’urgence du syndrome HELLP. En dessous de la 34ème semaine de grossesse, le risque de complications fœtales liées à la prématurité est important.

Les médecins vont alors effectuer un dosage biologique pour éliminer le diagnostic de pré-éclampsie. Ils évaluent le ratio sFlt-1/PlGF*. Ces deux substances, sFlt-1 (fms-like tyrosine kinase 1) et PlGF (Placental Growth Factor) sont présentes dans le sang. Le déséquilibre de leurs concentrations (augmentation de sFlt-1 et diminution du PlGF) est détectable plusieurs semaines avant la survenue des symptômes de pré-éclampsie.

Éliminer le diagnostic de pré-éclampsie

Le diagnostic de pré-éclampsie est certes écarté, mais au vu de la sévérité du syndrome de détresse respiratoire aigüe (SDRA), la question d’extraire le fœtus par césarienne se pose tout de même. Les équipes d’obstétriciens et de réanimateurs de l’hôpital Louis-Mourier se concertent et décident après de nombreuses discussions de laisser la grossesse se poursuivre malgré l’état respiratoire critique de la mère. Extraire le fœtus à 24 semaines de gestation aurait signifié la naissance d’un très grand prématuré.

Sous l’effet des traitements, l’hypertension artérielle régresse. Les chiffres tensionnels se normalisent, ce qui permet d’interrompre le traitement anti-hypertenseur. Puis les résultats biologiques reviennent à la normale (augmentation du nombre des plaquettes sanguines, normalisation du taux des enzymes hépatiques), ce qui incite les médecins à laisser la grossesse se poursuivre sans intervenir en pratiquant une césarienne. De fait, l’état respiratoire de la patiente s’améliore sous l’effet de la ventilation mécanique couplée à la sédation et à la curarisation (qui permet d’obtenir le relâchement des muscles respiratoires).

« Enceinte de 6 mois, cette femme n’a jamais été placée en décubitus ventral, la position allongée sur le ventre permettant chez les patients Covid-19 de redistribuer la perfusion vers des régions mieux ventilées et d’améliorer les échanges gazeux. Le décubitus ventral chez une femme enceinte de six mois aurait été de toute façon problématique », déclare le Dr Federici.

La patiente est finalement libérée du respirateur artificiel au bout de dix jours et quitte l’hôpital au 19ème jour.

Un mois et une semaine après son admission dans le service de soins intensifs, le 24 mai 2020, elle accouche à 33 semaines de grossesse d’un petit garçon en bonne santé. Un test PCR réalisé sur les prélèvements nasopharyngés du prématuré revient négatif pour le SARS-CoV-2.

Ce cas clinique, publié le 11 août 2020 dans la revue en ligne BMJ Case Reports, montre donc que les manifestations cliniques et biologiques de la Covid-19 peuvent mimer le syndrome HELLP.  « Il montre que même dans une situation clinique gravissime, la grossesse peut se poursuivre chez une patiente sous ventilation mécanique maintenue sous stricte surveillance et aboutir à un accouchement par voie naturelle », déclarent le Dr Federici et ses collègues.

La césarienne ne devrait pas être systématique

« La décision d’extraire le fœtus, autrement dit de réaliser une césarienne, devrait être toujours discutée en pesant soigneusement le rapport bénéfice/risque et ne devrait en aucun cas être systématique. Il faut toujours travailler avec les gynéco-obstétriciens afin de retarder le plus possible l’extraction fœtale, quand cela est possible », me déclare le Dr Federici.

En Chine, au plus fort de la pandémie Covid-19, entre janvier et mars 2020, la décision de pratiquer une césarienne dans l’espoir d’améliorer l’état clinique de la mère avait été prise dans la majorité des cas.

Un travail multidisciplinaire

« Cette observation clinique illustre le fait que chez une femme enceinte un syndrome de détresse respiratoire aiguë dû à la Covid-19 peut complètement régresser pendant que la grossesse se poursuit, et que cela peut conduire, huit semaines plus tard, à la naissance d’un bébé en bonne santé », souligne le Dr Federici.

« Je garde de ce cas clinique un bon souvenir mais il aurait pu aussi mal se terminer et être le cas le plus dramatique de cette période. J’avais à cœur de le publier car il met en valeur le travail collégial avec l’équipe de gynéco-obstétrique. Enfin, il s’est accompagné d’une relation particulière avec la famille dans un contexte où les visites étaient alors interdites à l’hôpital. L’enjeu et le contexte ont été très forts : celui d’une femme d’une trentaine d’années qu’il fallait sauver, celui d’un bébé à naître, mais pas trop tôt en pour éviter les graves conséquences d’une extrême prématurité, et celui d’un père confiné, devant s’occuper d’un autre enfant, en l’occurrence un fils d’à peine trois ans », déclare le Dr Federici.

Mais laissons le mot de la fin à la patiente, restée dans le coma pendant deux semaines. En marge de l’article médical, elle déclare dans la revue BMJ Case Reports « étrangement se souvenir de certains rêves qu’elle a fait », notamment de celui où elle désirait ardemment pouvoir élever son fils ainé, arrivé tard, après six ans de mariage. Et de conclure : « J’aimerais remercier tous les médecins qui ont pris la décision de ne pas interrompre ma grossesse lorsque j’étais dans le coma et qui ont fait de leur mieux pour me garder en vie. Nous allons tous très bien ».

Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)

* Un ratio SFlt-1/PlDF égal ou inférieur à 38 a une forte valeur prédictive négative. Il permet alors d’exclure le diagnostic de pré-éclampsie. Chez cette patiente, ce ratio était égal à 13.

Pour en savoir plus :

Federici L, Picone O, Dreyfuss D, Sibiude J. Successful continuation of pregnancy in a patient with COVID-19-related ARDS. BMJ Case Rep. 2020;13(8):e237511. Published 2020 Aug 11. doi:10.1136/bcr-2020-237511

Antoun L, Taweel NE, Ahmed I, Patni S, Honest H. Maternal COVID-19 infection, clinical characteristics, pregnancy, and neonatal outcome: A prospective cohort study. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol. [published online ahead of print, 2020 Jul 15];S0301-2115(20)30448-6. doi:10.1016/j.ejogrb.2020.07.008

Mendoza M, Garcia-Ruiz I, Maiz N, et al. Pre-eclampsia-like syndrome induced by severe COVID-19: a prospective observational study.  BJOG. [published online ahead of print, 2020 Jun 1];10.1111/1471-0528.16339. doi:10.1111/1471-0528.16339

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Zeisler H, Llurba E, Chantraine F, et al. Predictive Value of the sFlt-1:PlGF Ratio in Women with Suspected Preeclampsia. N Engl J Med. 2016;374(1):13-22. doi:10.1056/NEJMoa1414838




August 17, 2020 at 10:57AM
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