Il en parle comme de "la pire saison de (s)a carrière". Quand il signe au PSG en août 2015, Angel Di Maria sort d’un exercice raté à Manchester United. Arrivé l’été précédent avec le statut de plus gros achat de l’histoire de la Premier League (75 millions d’euros), l’Argentin n’a pas été à la hauteur des attentes et veut déjà quitter les Red Devils. On explique sa décision par plusieurs pistes. Le sportif, d’abord, avec un Di Maria baladé à différents postes par Louis van Gaal et qui n’a jamais vraiment trouvé sa place mais aussi la difficulté de faire face au jeu physique pratiqué outre-Manche en raison de son gabarit fluet. "Il n’arrivait pas à encaisser la pression qui règne sur le porteur de balle en Premier League", estimait le technicien néerlandais pour la BBC en mars 2019.
Il y avait l’extrasportif, aussi, avec quelques mois plus tôt la tentative de cambriolage de sa maison de Prestbury par des hommes entrés chez lui à coups de poteaux d’échafaudage pendant qu’il s’y trouvait avec sa femme Jorgelina Cardoso et leur fille aînée. Mais il fallait surtout chercher ailleurs: dans la communication et l’approche du peu diplomate Van Gaal. "A Manchester, les deux premiers mois s’étaient bien passés, ensuite il y a eu une dispute, expliquait-il au micro de l’émission ESPN Redes en février 2019. Il y a des moments où je perdais des ballons facilement, et ce sont des choses qu’il me montrait. Il me passait toujours les mauvais moments et ça commençait à me peser. Jusqu’à ce qu’un jour je me dispute avec lui. Je lui ai dit que je ne voulais plus voir ça, que je faisais de bonnes choses et je lui ai demandé pourquoi il ne me les montrait pas. Il n’a pas aimé la manière avec laquelle je lui ai dit ça et les problèmes ont commencé à partir de là."
Van Gaal a beau affirmer au Guardian lui avoir "donné toutes les chances possibles pour performer au mieux", l’anecdote raconte combien il n’avait jamais compris son joueur. Car il est comme ça, Angel. Un hypersensible qui a eu du mal à gérer ses émotions dès l’enfance, avec sa mère Diana Hernandez témoin de nombreuses scènes de pleurs lorsque la cocotte des sentiments sifflait trop fort, et qu’il faut savoir cajoler pour en tirer le meilleur. "Ce type de profil est un peu un cas d’école, analyse Bertrand Guérineau, psychologue du sport en libéral et au CHU de Nantes. C’est pile ou face. Soit il y a une relation à l’écoute, où le joueur se sent considéré, compris, soit il y a plus ou moins une sorte de blocage et tout ce qui est de l’ordre de l’émotionnel devient des facteurs aggravants pour la contre-performance. C’est une histoire de posture de l’entraîneur."
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Qui peut même permettre de travailler sur le négatif si l’on si prend bien, pas comme Van Gaal quoi. "On a des joueurs chez qui on peut pointer de manière constructive un travail sur les points faibles dès lors qu’ils se sentent considérés, explique Bertrand Guérineau. Mais si le coach décide par posture, et il y en a plein comme ça, que c’est au joueur de s’adapter ou de dégager, c’est plus compliqué pour eux. Il ne faut pas mettre ces gens-là trop en difficulté parce qu’ils sont dans des fantasmes d’anéantissement. Ils vont se dire: 'Ah ouais, là il m’a dit ça sur mon pied gauche…' Et le joueur va mettre des boucles d’inhibition là-dessus." Timide, réservé et émotif, presque maladivement, Di Maria a renversé la table de ses angoisses à l’aide d’un suivi psychologique régulier. "C’est un garçon fragile, témoignait un proche pour Le Parisien en novembre dernier. Il en a beaucoup souffert."
Ce joueur à l’opposé du star-system, qui a débuté le foot à quatre ans sur les conseils d’un médecin pour contenir son côté hyperactif, appelle sa mère et sa femme avant chaque match, rituel rassurant. "Mais désormais, il est apaisé", poursuivait son proche. Et ça se ressent. Joueur le plus utilisé cette saison par Thomas Tuchel au PSG, "El Fideo" (le vermicelle, surnom donné par l’ancien joueur argentin Fernando Gago) régale ces derniers mois à l’image de sa prestation XXL lors de la demi-finale de Ligue des champions contre Leipzig (3-0). Sa saison? Douze buts et vingt-trois passes décisives. Plus dans la relation humaine que Van Gaal, Tuchel a vite compris à qui il avait affaire. L’émotivité est sa faiblesse? Alors on le couve d’attention. Dès le début.
Au moment de ses premiers pas au club, juste avant la Coupe du monde 2018, le coach allemand se rend à Barcelone, camp de la sélection argentine, pour parler avec Di Maria. "Je lui avais dit que ma place n’était pas ici, parce qu’il y avait Kylian Mbappé, Neymar et Edinson Cavani, et que ça allait être compliqué pour moi, se souvenait le joueur sur le site du PSG en juin 2019. Il m’a répondu qu’il comptait sur moi, que j’étais un joueur qu’il adorait et qu’il voulait que je reste ici. C’est pourquoi j’ai changé d’avis et je suis revenu avec l’envie de montrer que je pouvais jouer dans cette équipe. Je lui ai rendu la confiance qu’il m’avait donnée." Briller pour remercier. "Ce qui m'importe, c'est de lui rendre l'affection qu'il me porte et de le lui prouver sur le terrain", lâchait-il encore au micro de France Bleu en janvier 2019.
Et de compléter en février 2020 pour le site de la Ligue 1: "Je me sentais aussi en confiance avec Laurent Blanc, lors de mon arrivée au club. Je n'ai joué qu'un an avec lui mais je me sentais très bien. Avec Unai Emery, il y a eu des moments où je me sentais confiant, d'autres moins… Mais c'est avec Thomas Tuchel que je me sens le mieux. Il m'a donné confiance en moi dès son arrivée. Il a toujours trouvé de la place pour moi dans ses plans, quelle que soit la tactique ou formation que nous employons. C'est très important pour un joueur." Son coach approuve. En octobre dernier, après un doublé du "Fideo" à Nice (4-1), Tuchel résume son joueur en trois phrases: "Il peut faire des choses incroyables s’il est tranquille. En ce moment, il est complètement en confiance. Il est super fiable."
L’équation marche depuis toujours. Il faut lire la longue et passionnante interview accordée à Real Madrid TV en octobre 2011 pour comprendre sa psychologie. Il y évoque son père, Miguel Di Maria, qu’il a aidé à livrer du charbon à l’adolescence et qui a su accompagner les angoisses d’un garçon qui réalise par procuration le rêve de celui a évolué avec la réserve de River Plate avant de se blesser dans un match de quartier: "Je lui dois beaucoup. Mon père est une personne qui me dit quand je fais quelque chose de mal mais il me dit aussi ce que je fais de bien." Ses parents gagnent peu mais utilisent l’argent pour lui acheter des chaussures de foot, au détriment de ses deux jeunes sœurs Vanesa et Evelyn avec qui il partageait une chambre.
Redevable à vie, tout comme du fait que l’une de ses sœurs ait mis un temps en pause ses études pour le suivre dans sa carrière, il fait tout pour leur rendre cette confiance, comme avec Tuchel, jusqu’à demander à son père d’arrêter de travailler et acheter une maison à sa mère à son arrivée en Europe lors de sa signature à Benfica en 2007. Après des débuts fracassants à El Torito, où il inscrit… soixante-quatre buts pour sa première saison, Di Maria est recruté à six ans et contre quelques dizaines de ballons (la légende veut qu’ils ne soient jamais arrivés) par Rosario Central, le grand club de sa ville, où sa mère l’emmène à l’entraînement sur son vélo qu’il vente ou qu’il pleuve. Il y grandit dans les équipes de jeunes avant de débuter avec les pros à dix-sept ans, en 2005.
L’ado émotif va évoluer au plus haut niveau dans le club de son cœur. De quoi angoisser. Mais le garçon a la chance de jouer un an avec son idole, Kily Gonzalez, ancien de Boca Juniors, Valence et l’Inter Milan, qui lui apporte la confiance nécessaire. "C’était la meilleure chose qui pouvait m’arriver, affirmait-il en 2011. Le voir me dire des choses comme ‘Bien Angelito !’ était génial pour moi." Ses souvenirs évoquent aussi un Gonzalez qui l’avait poussé à imiter les arabesques d’un certain Ronaldinho – Di Maria le prendra au mot – et qui l’avait pourri lors d’un match où il ne l’aidait pas assez sur les efforts défensifs: "Ce sont des choses que vous n’oubliez pas." Qui permettent de grandir et de donner le maximum. Les deux en ont gardé une relation forte.
Deux ans plus tard, après une Coupe du monde U20 remportée sans jouer la finale pour cause de blessure, ce qui le fera pleurer de frustration, c’est le grand saut avec le départ pour Benfica. Où les dirigeants le présentent aux supporters comme le remplaçant idéal de Simao. Parfait pour être mis en confiance. Pas comme la suite. Loin des siens (seul son père, qu’il voyait souvent pleurer car sa mère lui manquait, l’a accompagné dans un premier temps), Di Maria ne trouve pas de réconfort sur le terrain. José Antonio Camacho, son coach, ne donne pas sa totale confiance à un gamin de dix-neuf ans. "Je ne jouais pas beaucoup, ce qui était difficile car ils m’avaient dit que ce serait le cas, que je serais titulaire, et tout d’un coup je suis laissé sur le banc voire pas présent dans le groupe", racontait-il à Real Madrid TV.
Difficile pour ce grand sensible de donner sa pleine mesure dans ces conditions. La deuxième saison à Benfica, à la sortie de JO de Pékin où il remporte l’or en marquant le but décisif en finale, ne fera pas beaucoup avancer les choses. Frustré, l’Argentin va jusqu’à un échange musclé sur le terrain avec son nouvel entraîneur, Quique Sanchez Flores. La troisième sera la bonne. Jorge Jesus est arrivé sur le banc du club et clame son amour à un joueur mieux dans sa tête suite à son début de relation avec Jorgelina (pour qui il débute alors sa célébration "cœur avec les doigts"): "Il essaie d’apprendre tous les jours. Il est très humble. Je l’adore." Résultat? Vingt-six titularisations sur vingt-six apparitions dans le groupe en championnat, dix buts et dix-neuf passes décisives toutes compétitions confondues (meilleur passer du championnat avec douze) et le premier titre national du club depuis cinq ans.
Il est alors temps d’exporter son talent en Espagne, avec un transfert de 33 millions d’euros au Real Madrid alors qu’il "n’aurai(t) jamais imaginé rejoindre un club de ce calibre". Là encore, la confiance du coach va transformer les choses. José Mourinho vient lui aussi d’arriver à Bernabeu mais ce maître ès-motivation sait trouver les mots pour gonfler sa recrue à bloc. "Il est celui qui m’a dit qu’il voulait que je vienne et qui a rendu cela possible, pointait-il en 2011. Je dois le remercier pour l’opportunité qu’il m’a donnée. C’est une autre des raisons pour lesquelles j’essaie de tout donner à chaque match: je veux qu’il pense toujours que ça valait le coup de me prendre." Le "Special One", qui obtient dans un premier temps qu’il évolue à droite plutôt qu’à gauche, restera trois saisons, trois exercices réussis par Di Maria sur le plan individuel.
En 2011, à la sortie de la Copa America, le technicien portugais lui accorde même un rab de vacances pour se marier. "Je le remercie beaucoup pour ça", commente-t-il à l’époque. Le "Mou" a encore un peu plus gagné sa confiance. Mais l’été 2013 présente un challenge. Gareth Bale débarque au Real pour 101 millions d’euros et beaucoup l’imaginent prendre la place de l’Argentin sur l’aile. On pense que Di Maria sera vendu. Mais Carlo Ancelotti, nouveau coach madrilène, l’apprécie et le convainc de rester. Le 6 janvier 2014, il est pourtant proche de craquer. Remplacé par Bale à l’heure de jeu contre le Celta Vigo (3-0), il est sifflé par le Bernabeu et répond en se touchant les parties intimes. Fin psychologue, comme il l’a toujours prouvé, et conscient que l’épisode peut entraîner une rupture chez son joueur, Ancelotti va tout de suite prendre le temps de venir lui parler avec des mots rassurants et apaisants. Il faut le calmer et ne pas le faire décrocher. Mission accomplie.
L’ancien coach du PSG a pris en compte sa sensibilité et lui propose même un nouveau défi en le plaçant en relayeur au milieu de terrain. Fidèle à sa réputation, "El Fideo" va lui rendre sa confiance avec des performances de premier ordre, jusqu’à être élu meilleur joueur de la finale de la Ligue des champions remportée contre l’Atlético de Madrid (4-1 a.p.). Mais il n’a rien oublié. Et après une belle Coupe du monde 2014 conclue sur une défaite en finale, celui qui ne se sent alors "inférieur à personne" quitte le Real en insistant sur "le manque d’amour" ressenti. Il n’en trouvera pas plus à MU avec Van Gaal. Mais il reviendra au PSG. Au Real, il a aussi montré une chose: être hyperémotif ne veut pas dire se recroqueviller dans sa coquille devant les épreuves. Après l’enterrement de son beau-père en Argentine et un aller-retour de 19.000 kilomètres en trois jours, mi-décembre 2011, il signe un de ses meilleurs matches au Real contre Séville (6-2 avec un but et deux passes décisives pour lui).
Moins de deux ans plus tard, fin avril 2013, il marque le but vainqueur du derby sur la pelouse de l’Atletico (2-1) cinq jours après la naissance de sa première fille Mia (la deuxième s’appelle Pia), née grande prématurée avec trois mois d’avance et qui passera deux mois à l’hôpital universitaire Monteprincipe de Madrid avant de pouvoir rejoindre son foyer. "Quand vous êtes confrontés à des choses profondes, comme un deuil ou une catastrophe personnelle, ça vous permet de relativiser et de revenir sur des choses, sans même les intellectualiser, de l’ordre du ressenti, du naturel, explique Bertrand Guérineau. Et il n’y a rien de plus efficace qu’un joueur, avec ce talent-là évidemment, totalement libéré. Vulgairement, c’est au pied du mur qu’on voit le maçon. Quand on a des épreuves difficiles dans notre quotidien, bien souvent on se dit qu’on est libéré et on arrive à retourner des matches ou à faire de belles choses alors qu’on n’y croyait plus. Ce n’est pas en allant chercher d’autres ressources mais en exploitant qui on est."
Di Maria, qui a souvent les larmes aux yeux quand il parle de sa famille ou de ses six amis d’enfance de "la banda de la Perdriel" (tatouage qu’ils partagent, du nom de leur quartier) ou après une grande victoire, ne cachera jamais son émotivité naturelle. "Si j’ai besoin de pleurer, ma femme est là pour moi, avouait-il en 2011 au sujet de l’éloignement de sa famille. C’est ce que je fais." Bien exploitée, cajolée, cette émotivité sait le porter très haut. "S’il est bien considéré et bien dans sa tête, tout est permis", conclut Bertrand Guérineau. Et Tuchel sait appuyer sur les bons boutons pour obtenir son meilleur.
Apprécié dans les vestiaires pour sa capacité à faire briller les autres, celui qui affirme aimer autant (voire plus) la passe décisive que le but adore rendre à ceux qui lui ont apporté, ses proches comme ses entraîneurs, ses coéquipiers ou les supporters qui le poussent. Un club, aussi. "Le PSG est très important pour moi, lâchait-il en février 2020. Ils m'ont accueilli à bras ouverts à une époque où j'avais du mal à Manchester. Je ferai toujours de mon mieux pour aider le club à réussir." Pour être son ami, Di Maria demande "de l’humilité". Et pour qu’il donne son meilleur, le sosie non officiel de Franz Kafka selon l’écrivain norvégien Karl Ove Knausgaard (on a vu plus ressemblant) a besoin de confiance. Van Gaal n’avait pas saisi, au contraire de Tuchel. Cela pourrait mener le PSG à la première Ligue des champions de son histoire.
August 22, 2020 at 05:02PM
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PSG: Angel Di Maria, bien dans sa tête, bien dans son jeu - RMC Sport
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bien
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